Descendant du K2, j’ai rejoint des altitudes plus clémentes. Hors de danger, je découvre la montagne avec un regard neuf. Me voilà redevenu plus contemplatif.
Sur le chemin du retour, à mon euphorie du succès, se mêlent bientôt l’inquiétude et la tristesse. Un peu partout aux abords des camps de base, sur les moraines des glaciers, dans les rares oasis d’altitude, je découvre les déchets abandonnés sans vergogne par les uns et les autres. La végétation fragile qui s’accroche ici ou là, est menacée de disparition: coupe de bois pour les feux de camp; piétinement répété des zones herbeuses; destruction de bosquets… On rencontre même, autour de quelques campements, des torrents glaciaires pollués par manque d’hygiène.
Cette dégradation de l’environnement himalayen est d’autant plus choquante qu’il serait facile pour chacun d’effacer les traces de son passage. Juste un petit effort!
En haute altitude, certaines expéditions n’hésitent pas à laisser sur la montagne une grande partie de leurs équipements: cordes fixes, échelles métalliques, carcasses de tentes, cylindres d’oxygène vides. Pour les suivants, si le chemin est tout tracé, l’aventure en revanche perd beaucoup de son parfum.
Les autorités locales (en Inde, au Népal ou au Pakistan) envisagent déjà de limiter ou… d’interdire l’accès à certains de leurs sommets.
Nous sommes tous concernés par cette situation: les alpinistes et les randonneurs; les responsables d’agences de voyage ou d’associations sportives; les guides; les habitants des pays d’accueil enfin. Car il faut à tout prix éviter l’instauration de règlements qui seraient, dans ces montagnes lointaines, un non-sens. Il importe pour l’équilibre émotionnel de l’homme, que subsiste la « Wilderness », ces espaces sauvages de la planète où l’on a encore la liberté de s’égarer, de se mesurer à une nature intacte sans que ce soit pour l’abîmer ou l’aménager; ces espaces du rêve pour les générations qui viendront.
Sachons qu’au-delà de ces crêtes, de ces déserts ou de ces forêts du bout du monde il n’y a plus « d’inaccessible » à imaginer. A la surface du globe, personne n’ira explorer plus loin.
Comme l’Antarctique ou l’Amazonie, le « Toit du monde » représente l’un des grands patrimoines de l’humanité. Sa sauvegarde est un devoir et une nécessité pour tous.
Pierre Béghin