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Voyage dans l’Oxygène Rare   Audiovisuel et CD musical (combinaison de diapositives, textes oraux de Pierre Béghin ainsi que de musique provenant du CD de Gilbert Grilli)

Texte extrait de l’audiovisuel « HIMALAYA VOYAGE DANS L’OXYGENE RARE Pierre BEGHIN»

      La caravane - Gilbert Grilli

A l’ombre de mon parapluie, je regarde et j’écoute, je m’imprègne d’un décor, d’une rumeur. La rizière népalaise, cette sorte de marécage domestique, résonne d’une multitude de bruits comme pour secouer sa torpeur. L’eau cascade de terrasses en terrasses. Tout près, des enfants s’aspergent en riant. Là-bas, on s’interpelle entre deux fermes.

Ces communautés à flanc de montagne témoignent d’une époque révolue mais pas forcément malheureuse : une sorte de moyen-âge rural et plutôt paisible qui se serait égaré dans les temps modernes et dans lequel coule goutte à goutte un peu de progrès.

      Marche d'approche - Gilbert Grilli

Alors que le relief s’enhardit, la file des porteurs s’allonge, se fragmente. Partout au Népal et plus encore dans ce pays des Limbus, à l’est, le portage est une institution. Toutes les marchandises indispensables transitent par ces chemins difficiles, seules lignes de vie de ces régions montagneuses.

Si le paysan népalais connait une existence plutôt âpre, on a le réel sentiment que sa place est là, modeste mais sure, au sein d’une montagne excessive.

      Pays des limbus - Gilbert Grilli

Nous avons trouvé refuge sous un auvent de rochers. La forêt nous entoure de sa pénombre verdâtre.

Notre guide népalais a rassemblé un peu de bois mort. Les flammes hésitent, rampent ou s’éteignent tant le bois est détrempé.

Malgré la fumée, les porteurs font cercle et tentent de se sécher un peu. Tandis que l’obscurité efface leurs visages, voici que d’autres ressurgissent de ma mémoire. Je les ai côtoyés il n’y a pas si longtemps au coeur des montagnes lumineuses et sèches du Karakorum, à 1500 kilomètres d’ici.

En amont du village d’Askolé, la vallée de la Braldo s’enfonce dans une contrée vide d’hommes où les rares oasis de verdure s’accrochent aux pentes d’éboulis. Les gens d’en bas, guides ou simples porteurs, ne s’y aventurent que pour accompagner les alpinistes et les trekkers.

Tous redoutent cet univers qu’ils connaissent mal : les étendues chaotiques de glace et de cailloux, les montagnes avec leurs façades géantes de roches fauves et de neige suspendue, les tempêtes soudaines et violentes.

      Karakorum - Gilbert Grilli

Au bord du glacier, de ses grandes vagues d’éboulis, dont le temps semble avoir figé le déferlement, nous avons amarré notre camp de base : à quelques encablures se dressent les premiers contreforts de la montagne.

      Pays tibétain - Gilbert Grilli

C’est là, qu’après des jours et des jours de marche sur des sentiers incertains, la caravane s’est disloquée. Sans perdre une minute, les porteurs sont repartis vers les vallées en nous abandonnant à notre sort et à notre passion.

Nous voici donc seuls, au pied de cette montagne capricieuse, à attendre sans la moindre certitude, que s’entrouvrent les portes de la haute altitude.

      Nuit au camp de base - Gilbert Grilli

Malgré l’altitude nous grimpons aussi vite que possible. Hors d’haleine, sursautant à la moindre vibration de l’air, nous repérons des zones moins dangereuses. Un océan de vide nous sépare désormais des moraines du camp de base.

Dans les gestes d’escalade, nos muscles souffrent du peu d’oxygène. Le moindre mouvement un peu athlétique exige une grande concentration, car, en ces lieux coupés du monde, les conséquences d’une chute seraient dramatiques.

      les portes de la haute altitude - Gilbert Grilli

Après des heures et des heures d’escalade à plus de 7000 mètres, le manque d’oxygène m’a anesthésié le corps et l’esprit. J’ai la sensation de vivre au ralenti, prostré, étourdi. Cet univers de l’altitude me rentre dans la peau sans que je parvienne à l’analyser, comme si inexorablement je me noyais dans son immensité.

      Oxygène rare - Gilbert Grilli

Sur l’étroite plate-forme taillée en pleine pente à coups de piolet, nous pouvons enfin organiser le bivouac. Assis devant la tente, je promène mon regard sur des lointains indéfinissables : un décor de planète vide avec ses montagnes et ses glaciers à perte de vue.

En spectateur privilégié, j’assiste au basculement des montagnes dans l’obscurité et le froid.

      Tempête - Gilbert Grilli

Nous voici parvenus en d’étranges lieux où l’Être humain perd toute lucidité.

Avec la raréfaction de l’air, le cerveau se trouble et fonctionne par à-coups.

Nous mettons un temps infini, dépensant de plus en plus d’énergie à parcourir des distances qui paraissent minimes. On voudrait grimper plus vite mais les jambes sont de plomb. Une grande lassitude domine toute volonté de penser, de se mouvoir.

      Sommet - Gilbert Grilli

Maintenant tout est devenu simple : rien d’autre n’existe que nos silhouettes hésitantes, le sommet proche et cette immense fatigue qui s’intercale. Le temps semble fuir bien plus vite qu’ailleurs ou peut-être l’espace s’est-il distendu?

Brusquement, devant mes yeux, à quelques mètres, ce point où toutes les lignes convergent. Les derniers pas. J’avance dans l’oubli de moi-même à travers une réalité coupée de tout, une parenthèse de vie où se mêlent l’exaltation et la peur. Jamais je ne me suis perdu aussi haut.

Je contemple l’Himalaya, la courbure de la terre, la brume du crépuscule, nos traces imprimées dans la neige. Ce décor à l’échelle de la planète dépasse ma compréhension. J’ai sous les yeux une autre dimension du monde, une dimension invisible d’ailleurs et qui ne se révèlerait qu’au terme d’un long et dangereux parcours initiatique. En ces lieux battus par le vent, je vis un moment rare de mon existence.